« Les sciences impliquées sont porteuses de valeurs sociopolitiques et culturelles dépassant le seul cadre du travail scientifique. Elles prennent acte de leur responsabilité et sont appréhendées pleinement engagée.« Léo Coutellec
Auteurs : Elisa Duchesne et Lise Durantou
Une proportion importante des débris plastiques marins et des microplastiques est supposée provenir des systèmes fluviaux. Afin de gérer efficacement la contamination plastique du milieu marin, une quantification précise des flux fluviaux de plastiques et microplastiques terrestres est impérative.
Depuis 2017, La Pagaie Sauvage propose au grand public et aux chercheurs de travailler ensemble dans le but de pallier les enjeux liés à l’acquisition de données, souvent accompagnés d’enjeux liés à l’évolution des pratiques scientifiques. En pratique, cet observatoire incarne un réseau de surveillance de citoyens (individuels ou structures) actifs partout en France, lié à un partenaire de recherche de référence. Développer ce réseau a nécessité un encadrement rigoureux au moment de l’acquisition de prélèvement (qualité de l’échantillonnage et collecte des métadonnées) et de l’acquisition de données brute (analyses en laboratoires). Ces dernières, effectuées en binôme entre les étudiants désireux de se former à ce type d’analyse et le personnel de l’association, est possible grâce à une collaboration rapprochée entre l’association et le partenaire de recherche référent. L’idée de créer un réseau de partage de connaissance autour des microplastiques en eaux douces née en 2017. Une action collective pouvant répondre à une partie de ces questions environnementales est initiée par les membres du blog d’itinérance en canoë « La Pagaie Sauvage ». Les premiers prélèvements sont envoyés au laboratoire de Max Liboiron du laboratoire CLEAR (https://civiclaboratory.nl/), au Canada, qui découvrira des microplastiques dans tous les échantillons et inspirera l’évolution du blog en réseau de surveillance : l’observatoire des microplastiques. La Pagaie Sauvage qui travaille alors sur le thème des microplastiques a motivé la création du projet en 2019, et a reçu un premier soutien de l’Agence de l’Eau Adour Garonne pour mettre en place le fonctionnement de l’observatoire. La collaboration naturelle avec Mathilde Montperrus, Laurent Lanceleur et Damien Sous à l’UPPA a permis d’intégrer à juste titre les aspects scientifiques liés au projet. Les résultats prennent forme, et le rapport retraçant l’intégralité du projet paraîtra en octobre prochain. Ces résultats vont bien au-delà des attentes imaginées par les partenaires au début du projet : le nombre de prélèvements reçus attendu a été dépassé, le nombre de projets pédagogiques et culturels liés à l’observatoire franchit toute estimation de départ avec la création inattendue d’un pôle dédié à l’accompagnement de ces derniers. Pendant que les outils pédagogiques sont développés par l’association, les protocoles d’analyses n’ont pas cessé d’évoluer grâce au travail des équipes de recherche de l’UPPA.
Si l’exercice de compilation des données est bien souvent rendu complexe par la diversité des méthodologies dans le but d’estimer les flux microplastiques, le choix d’une méthode d’échantillonnage fonctionnelle ainsi que l’harmonisation de la méthodologie d’analyse ont fait l’objet de deux années d’expérimentation en laboratoire et sur le terrain. Dans cette étude, 416 points d’analyse ont été passés en revue grâce au réseau de sciences participatives, soit plus de 830 heures d’échantillonnage et de comptage.
Parmi ces données, 78 % contiennent des microplastiques. Lors des échantillonnages, le volume d’eau moyen filtré fut de 38 m3, pour un temps de collecte de 43 minutes en moyenne. Le nombre de microplastiques recensés, très variable selon les échantillons est en moyenne de 12 par prélèvement. Au total, ce sont 4845 particules passées au crible.
Résultats en bref
Nombre total d’échantillons traités |
416 |
Pourcentage d’échantillons contenant au minimum 1 microplastique |
78 % |
Volume moyen d’eau filtrée par échantillon |
38 m3 (min = 1.5L, max = 197L) Écart-type : 35 |
Temps moyen de collecte par échantillon |
43 min (min = 1min30, max = 1020min) Écart-type : 72 |
Nombre total de microplastiques collectés |
4845 |
Nombre moyen de microplastiques par échantillon |
12 (0 à 380) Écart-type : 2 |
L’absence de concentration représente-t-elle un frein pour cette étude ?
Oui et non. En effet, un questionnaire collectant les métadonnées liées à la collecte citoyenne a permis de calculer les volumes filtrés et les concentrations associées.
« Si l’on considère que les variations de la concentration en microplastiques, de la vitesse du courant, et du temps de collecte sont indépendantes, alors le nombre de microplastiques N doit augmenter lorsque la concentration augmente, lorsque la vitesse augmente et lorsque le temps de collecte augmente. Ces deux derniers effets pourraient venir masquer la première relation, entre nombre et concentration, qui est celle qui nous intéresse : on souhaiterait que le nombre de microplastiques reflète avant tout leur concentration. » (Récapet & coll., 2020).
En gros, le nombre de particules pourrait tout simplement refléter la concentration. Mais cette hypothèse qui arrangerait les participants au moment de l’échantillonnage n’est que partiellement vérifiée…
Relation entre le nombre de particules dans le prélèvement et le temps de collecte
L’analyse visuelle du nuage de points prétend même le contraire. En bref, une quantité quasi nulle de microplastique sur le lieu d’échantillonnage implique un nombre très faible de particules récoltées, quel que soit le temps de collecte. En revanche, lorsque la zone de prélèvement possède un flux assez important de microplastiques, cette dernière semble augmenter avec le temps de collecte, et l’hypothèse tend à se vérifier.
Conclusion : Nous sommes désolés ! Vos prélèvements devront être accompagnés d’une vitesse de courant systématiquement, même si on sait que pour des flux élevés, seul le nombre pourrait suffire à caractériser la zone.
Que disent les concentrations ?
Elles représentent 135 observations réparties sur 5 bassins versants, les concentrations variant entre 0.00 et 62.35 MPs.m-3.
75% des prélèvements ont été effectués dans le bassin versant d’Adour-Garonne (Fig15). Les bassins Loire-Bretagne et Seine-Normandie représentent chacun environ 10% de l’effort d’échantillonnage, tandis qu’une minorité des observations ont été faites en Artois-Picardie (2) et Rhône-Méditerranée (4). En revanche, aucun prélèvement renseignant sur la concentration en microplastiques ne provient du bassin versant Rhin-Meuse.
Les bassins d’Adour-Garonne et Rhône-Méditerranée possèdent des concentrations de microplastiques relativement basses en comparaison à d’autres cours d’eau européens. À titre de comparaison, une moyenne de 0.32 ± 4.66 MPs.m-3 a été comptabilisée dans le fleuve de Danube (Allemagne et Autriche, 2012) (Lechner et al., 2014), de 6.0 ± 5.4 MPs.m-3 dans l’Aufibe (Italie, 2018) (Campanale et al., 2020), et de 0.028 MPs.m-3 dans l’estuaire Tamar (UK, 2013) (Sadri & Thompson, 2014).
Cette étude faite sur le territoire français est difficilement comparable à l’échelle européenne ou internationale en raison de la faible abondance de données disponibles en eaux douces de surface et de la multiplicité des méthodes employées (Assoumani et al., 2020). Il est donc important de poursuivre les recherches dans ce domaine afin de mieux comprendre les sources et la répartition des flux de microplastiques. Les concentrations au niveau de berges naturelles semblent plus faibles et moins variables qu’à proximité de berges plus anthropisées. Un échantillonnage plus important par type de berge permettrait de valider ou non cette hypothèse, qui n’a pas validé ici.
L’observatoire bénéficie aujourd’hui de la force de cette intelligence collective qui l’a fait naître : 21 associations, 4 communautés de communes, 6 établissements publics et 26 établissements scolaires, 7 chercheu(ses)(rs), 8 étudiants, plus de 200 personnes impliquées, et 430 points d’analyses.
L’acquisition de données n’ayant lieu que grâce à l’implication du public, nos remerciements se dirigent vers ceux qui ont contribué à cette étude, de près ou de loin. Nous espérons poursuivre les efforts pour que le laboratoire citoyen continue d’acquérir de précieuses données, de plus en plus précises !
Il n’est pas trop tard pour participer !
Qui finance cette étude ?
Le travail de mobilisation auprès du public et des collaborateurs entrepris par l’association est soutenu en grande partie par l’Agence de l’Eau Adour Garonne, que nous remercions chaleureusement, ainsi que de nombreux partenaires techniques et financiers :